C’est d’abord son allure qui aura marqué l’imaginaire du cinéma québécois. L’allure d’une femme émancipée, complexe, idéaliste et tendre. Le genre d’allure qui symbolise autant qu’il incarne un état d’esprit. L’allure, en réalité, que révéla, et magnifia, Gilles Carle, qui, en 1972, avait le trait de génie de confier à cette jeune femme qui travaillait alors dans le monde du cinéma d’animation, après des études en histoire de l’art, le rôle principal de La vraie nature de Bernadette en 1972. Un choc, notamment récompensé du prix Etrog de la meilleure interprétation féminine. Mais qui fut loin d’être un feu de paille. Car Micheline Lanctôt n’est pas du genre étoile filante. Et rapidement, d’autres cinéastes comprirent la force et l’attrait de cette femme unique au caractère de battante : Ted Kotcheff (The Apprenticeship of Duddy Kravitz), Jean-Charles Tacchella (Voyage en Grande Tartarie), Jean-Guy Noël (Ti-Cul Tougas), Claude Chabrol (Blood Relatives), Anne Claire Poirier (Mourir à tue tête), Michel Brault (Quand je serai parti… vous vivrez encore)… La télévision ne fut pas en reste non plus, et de Guy Fournier qui en fit l’héroïne de Jamais deux sans toi à Unité 9 dont elle est un des personnages les plus bouleversants en passant par Le Polock qui lui vaudra un Gémeau de la meilleure interprétation, Micheline Lanctôt a trouvé naturellement sa place dans le cœur du public québécois. Pourtant, si plusieurs se seraient contentés de cette vie devant la caméra, Micheline Lanctôt a aussi voulu passer derrière et révéler son propre regard. Dès 1976, elle réalise un premier film d’animation, A Token Gesture, pour l’ONF avant de dévoiler L’homme à tout faire (1980, primé au festival de San Sebastian, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise), l’indispensable Sonatine qui révèle la comédienne Pascale Bussières (Lion d’argent du festival de Venise, 1984, Génie de la meilleure réalisation), Deux actrices (1993, grand prix des Rendez-vous du cinéma québécois), Suzie (2009) ou Pour l’amour de Dieu (2010, primé à Shanghaï et Angoulême). Grand bien lui en a pris, car, se tenant au plus près de la réalité des femmes, elle y aura dessiné les contours d’une œuvre de cinéma sensible et généreuse, droite et sincère, récompensée en 2000 d’un prix Albert-Tessier plus que mérité. Documentaire, fiction, cinéma, télévision, théâtre, littérature…. L’inspirante et inspirée Micheline Lanctôt a décliné son talent avec la même constance sur tous les supports, s’imposant à tous comme une figure aussi fougueuse qu’engagée, aussi unique qu’attachante. Celle, tout simplement, d’une femme libre dont le panache et la sensibilité s’incarneront cette année dans son nouveau, et attendu, film dont elle vient juste de finir le tournage : Autrui, réunissant Brigitte Pogonat et Robin Aubert.

- Helen Faradji, critique de cinéma